Voir le 1er article et l’introduction de cette série : Leçons pour la Tunisie – Pérou, 1992.

(Cette partie a été écrite par Paul Stronski pour Carnegie. Voir la publication originale.)

Il y a un point en commun entre la situation politique en Tunisie et celle du Kirghizistan : Les transitions démocratiques dans les deux pays n’ont pas réussi à résoudre les problèmes de corruption, d’instabilité politique, ni d’améliorer la situation socio-économique de leurs citoyens.

Il y a un autre point en commun. De la même façon que la Tunisie était et est encore relativement considérée comme le berceau du Printemps arabe ou l’unique démocratie dans sa région, le Kirghizistan était aussi considéré comme une “île de démocratie” en Asie Centrale, entouré de régimes autoritaires : Chine, Kazakhstan, Russie, Tadjikistan et Ouzbékistan.

À la fin de l’ère soviétique, le premier président du Kirghizistan, Askar Akayev, arrivé au pouvoir en 1990, avait l’ambition de transformer le pays en un pays démocratique moderne qui serait “la future Suisse” de la région. Le pays a alors assez rapidement entrepris des réformes afin d’intégrer les structures politiques et économiques des pays occidentaux. Dans les années 90, 63% de la population kirghize vivait dans une extrême pauvreté.

D’importants flux financiers ont alors été dirigés vers le Kirghizistan, provenant notamment des USA, de l’Europe, de la Banque Mondiale et de la Asian Development Bank. Les réformes ont produit un pays avec une pluralité politique, des médias indépendants, une société civile ouverte. Tous des facteurs qui permettent de lutter contre la corruption et les abus de pouvoir.

Sauf que petit à petit, les aides internationales n’ont pas vraiment encouragé les leaders politiques à assainir la gouvernance sur le long-terme, ni d’établir un véritable état de droit. 30 ans après la chute de l’URSS, 25% de la population du Kirghizistan vivent en dessous du seuil de pauvreté. Les accès à l’eau, l’électricité, la nourriture, les soins de santé demeurent problématiques. Une bonne partie des aides internationales provenant de l’Occident comme de la Russie et de la Chine sont détournées via des réseaux locaux de corruption.

Les réformes entreprises par Akayez ont connu un arrêt dès les années 2000, après 10 ans de son arrivée au pouvoir. Le régime est devenu plus autoritaire, et le président cherchait surtout à consolider son pouvoir politique ainsi que celui de sa famille sur l’économie du pays. En 2001, les Américains ont signé des contrats avec le gouvernement pour utiliser le pays comme base arrière de leurs opérations en Afghanistan. De graves allégations de corruption ont alors émergé concernant des contrats de ravitaillement en carburant dans lesquels le président lui-même était impliqué. Visant l’accroissement de ses pouvoirs et l’enrichissement personnel, Akayev avait complètement perdu la confiance de ses concitoyens. Des élections parlementaires jugées frauduleuses en 2005 ont fini par provoquer la révolution des Tulipes. Akayev s’est enfui du pays, et a signé sa lettre de démission depuis Moscou.

Les gouvernements qui ont succédé à Akayev se sont avérés aussi problématiques que le premier. Des successions entre présidents et premiers ministres vont avoir lieu pendant des années. Des réformes de la constitution, des scandales de corruption, des violences politiques, des instabilités sociales…

Alors que le Kirghizistan entre maintenant dans sa 4ème décennie après son indépendance, la pauvreté, la corruption, le manque de transparence et l’absence de confiance de la population dans les institutions politiques ont fait que le pays n’a pas pu s’ancrer dans la stabilité. Le pouvoir est resté concentré dans les mains d’un groupe d’élites politiques et économiques. L’opposition peut obtenir certains sièges au parlement ou dans les localités, mais n’arrive pas à transformer sa position pour avoir une réelle influence. Les institutions de l’État, ainsi que les structures démocratiques sont devenues affaiblies.

Les agents du gouvernement se sont ensuite attaqués aux financements occidentaux obtenus par les ONG locales, les considérant comme une forme d’interventionnisme étranger. Sous pression de la Russie, le gouvernement a ordonné la fermeture de la base aérienne américaine en 2014. Les flux financiers de l’Occident ont diminué. Et comme les USA et l’Europe se sont retirés de l’Asie Centrale, le Kirghizistan est devenu dépendant de l’assistance russe et chinoise aussi bien dans le domaine financier que militaire, sans regard sur les questions des droits de l’homme ni de la démocratie.

La trajectoire démocratique du Kirghizistan se retrouve donc sévèrement troublée. Mais le peuple kirghiz a un passé connu de lutte contre l’autoritarisme. Mais les problèmes socio-économiques du pays sont restés sans solution.

–> Lire la partie 3 de cette série : Transition défectueuse en Géorgie.

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