On me demande “pourquoi tu voyages ?”. J’ai répondu que je n’en avais aucune idée. Je marche dans le monde avec plein de questionnements, et des réponses toujours différentes. Et de plus, je suis persuadé que le bonheur ne dépend ni du voyage, ni du travail, ni des vacances, ni de la sédentarité, ni du nomadisme. Donc, je ne voyage surtout pas avec le but d’être plus heureux que je le suis, ni d’être moins malheureux que je le suis.
Dans ma vie de nomade, il m’arrive très souvent de souffrir et d’être extrêmement malheureux. Par exemple, il m’arrive de me retrouver, à l’autre bout du monde, obligé de partager mon espace de vie pendant plusieurs jours avec des Français. Il m’arrive de ne pas trouver de vrai café le matin à part du Nescafé, et ce dans des pays qui sont parmi les plus grands producteurs de café au monde. Il m’arrive d’atterrir dans des endroits sales, où on te coupe l’eau et où on te sert des klaxons et des bruits de moteur pour te réveiller tôt le matin. Je ne vous parlerai pas non plus des moments où je me fais chier, et où je ne voyage que par obligation de devoir tôt ou tard bouger…
Mais vous, si vous avez un travail, une maison, une adresse, une famille, il est aussi évident que ce que je peux endurer parfois, vous l’endurez aussi. Tu rentres du boulot et ta femme te fait la gueule par exemple. Ou bien tu vas au travail et ton boss ou un collègue te fait vraiment chier dès le début de la journée. Et combien de fois il arrive que les enfants nous tapent sur les nerfs ! Tout cela sans parler des factures, des papiers, des impôts… Et en plus, par malheur, on se tape parfois les vains blabla des politiciens à la télé.
Eh oui mes ami.e.s, c’est comme ça : l’enfer est absolument partout. Avec ou sans maison, avec ou sans partenaire, avec ou sans famille, avec ou sans factures à payer. Et de la même façon, l’un allant avec l’autre, la beauté, synonyme de paradis, est aussi partout.
En ce qui me concerne, dans ma vie de nomade, je m’intéresse très peu aux pays et aux voyages. Ce qui me rend heureux c’est lorsque par exemple je vois et je revois Mars, Saturne ou Jupiter depuis plusieurs endroits et continents. Je vois la beauté dans le comportement des chiens de rue dans différents climats et différentes cultures. Parfois je vois un cactus, un serpent qui se cache, une montagne, une fleur, des cascades remplies de bassins d’eau claire et de toiles d’araignées. Ceci, bien évidemment, sans parler des grandes rencontres où l’amour se mélange toujours avec l’amitié. Je vois le bonheur quand je fais la fête avec mes amis. Une grande fête avec une magnifique demoiselle que j’ai rencontrée en voyage est aussi délicieuse qu’une fête avec mes cousins de Zarmdine, ou bien avec mes amis de Soussa ou du Québec. La joie est absolument partout, toujours présente. Et rappelez-vous, l’enfer aussi.
Vous-même, vous avez de nombreux plaisirs. À chacun ses escapades et à chacun ses délices. Avec la famille, les enfants ou les amis, vous éclatez souvent de rire. Avec les patrons, les employés et les collègues du travail, il y a assez souvent de grandes fêtes et des grands amusements. Et bien évidemment, vous pouvez même vous faire plaisir en achetant des choses, en changeant de voiture ou bien de maison. Les relations amoureuses, même si elles ne sont qu’avec un chien, un chat, une plante, ou une personne qu’on ne peut directement toucher devant soi, nous rendent immensément heureux. Il y en a aussi parmi vous qui ont des amants, des maîtresses et de délicieuses relations cachées. Voilà pourquoi pour vous aussi la joie est omniprésente. Le bonheur est partout.
Vous vous en rappelez sûrement : l’enfer aussi est partout. Voilà pourquoi nos vies sont les mêmes. Et si jamais vous vous mettez à vivre dans la misère, l’inconnu et la difficulté du nomadisme sans travail et sans but, vous y trouverez sûrement plusieurs délices et d’innombrables joies. Et si de mon côté je reprends votre maison, votre cuisine, le confort de votre salon, le salaire de votre travail et puis en plus vos factures, votre femme, vos enfants, votre belle-mère, votre voisin, etc., moi aussi, vous pouvez en être sûrs et certains, je serais extrêmement joyeux de goûter à des délices que j’ai presque oubliés. Et avec certitude, je saurais trouver, dans votre maison, votre famille et votre travail, de nombreux enfers. La joie de la beauté sera autant présente et puissante comme l’amertume de la laideur. Voilà pourquoi il ne sert à rien de voyager ou de ne pas voyager, de vivre avec ou sans adresse. Le chien de rue n’est ni plus chanceux ni moins chanceux que le chien domestique.
Voilà, maintenant enfin vous savez pourquoi je voyage. Une fois pour toute, j’ai répondu à cette question, et assez clairement. J’espère que vous m’avez compris.