Je suis allé dans la jungle colombienne lorsqu’une plante m’a généreusement tendu une petite coupe remplie de sa “sève”. L’histoire que je vais raconter ici semble incroyable, mais elle est tout à fait vraie.
La boisson avait une odeur, une couleur et un goût de terre fertile et foncée. Doucement et en toute confiance, j’ai porté la coupe à mes lèvres et j’ai pris une grande gorgée.
Quelques minutes plus tard, j’ai commencé à sentir cette boisson bouger à l’intérieur de mon ventre. Je ne me sentais pas bien. Je me sentais presque empoisonné par quelque chose et j’avais quasiment envie de vomir. J’ai bu de l’eau et je suis allé m’allonger afin de me reposer et… attendre…
Petit à petit, j’ai commencé à sentir de mini-fourmillements tout le long de mes membres, jusque dans les cellules de mon cerveau. Quelque chose bougeait encore dans mon ventre, au travers de mon estomac et de mes intestins. C’était déjà la nuit. il n’y avait que le bruit d’un petit feu et celui de la forêt obscure. J’ai fermé les yeux. J’allais basculer vers un autre monde.
Mon malaise digestif avait complètement disparu et au contraire je me sentais léger, mais possédé tout de même par d’étranges esprits. Quelque chose bougeait à l’intérieur de mon corps et de mon esprit ; et petit à petit, il m’est devenu évident que cette mystérieuse plante était en train de se manifester en moi. J’ai donc pris une grande respiration et j’ai dit : “Fais ce que tu veux de moi”. J’avais déjà une certaine expérience de ces phénomènes paranormaux. Je m’y prépare toujours comme le condamné à mort qui se lève le matin sans être sûr que ça ne sera pas son dernier jour. L’affaire est sérieuse.
Je voyais et je sentais ce condensé de boisson faire ses racines au milieu de mon corps, juste entre mon nombril et mon dos. Les petites racines se prolongeaient tranquillement épousant les mêmes chemins que mes artères. Elles s’enfonçaient petit à petit dans mes jambes et vers mes orteils. Et vers le haut, des tiges et des branches poussaient. Mes deux bras étaient devenus complètement recouverts de feuilles.
Je voyais et je sentais dans le détail le plus microscopique le fourmillement de la vie qu’il y avait à mes pieds qui étaient enfoncés dans le sol. Des vers bougeaient les petits grains de terre autour de mes racines. Plusieurs autres insectes, que je voyais dans le détail, s’affairaient autour de moi. Mon esprit était extrêmement vif et présent, mais j’ai réalisé que je ne pouvais presque plus bouger mon corps. Mon monde physique était devenu celui de la terre, de l’air, de l’eau et du soleil.
Je pouvais parfaitement sentir le vent sur mes feuilles, l’humidité dans l’air et le sol. Et puis, malgré qu’on était en plein milieu de la nuit, j’ai senti mes grandes feuilles s’ouvrir et s’orienter pour accueillir les photons d’un grand Soleil au milieu du ciel. Je voyais et je sentais les cellules de mes feuilles bombardées par une pluie continue de lumière. Je vibrais dans chaque cellule de mon être. Je vivais la photosynthèse ; je transformais les rayons d’une étoile lointaine en énergie vivante ici et maintenant. Je n’étais pas juste une plante en vie ; je possédais en moi l’expérience la plus sublime et la plus mystique de tout ce qui est vivant. Les atomes de mon corps s’étaient complètement connectés et fusionnés avec les particules de l’Univers.
Lorsque j’ai réalisé que j’étais vraiment devenu une plante, lorsque j’ai réalisé que la vie d’une plante est à la fois tellement puissante et tellement fragile, j’ai pleuré. J’ai beaucoup pleuré et j’ai dit à la plante : “Quédate conmigo! Quédate conmigo!” (Reste avec moi !).
La même plante que j’ai rencontrée au tout début de ce récit s’est alors encore manifestée devant moi dans la forêt. Son visage et son allure étaient encore plus clairs et ses traits plus définis. Si je savais dessiner, je pourrais parfaitement vous la peindre. Ses bras étaient longs et effilés. Elle a pris son long doigt verdâtre et l’a posé doucement sur le milieu de ma poitrine, très proche de mon cœur. Elle avait des yeux qui pouvaient tout voir. Mon corps était devenu transparent. Son doigt pointait un concentré de matière verte foncée qui apparaissait sous la forme d’un petit paquet rectangulaire. Elle a mis son doigt sur cette chose qui était à l’intérieur de moi et elle m’a dit : “Tu ne me vomiras jamais. Tu vas me garder à l’intérieur de toi pour toujours !”
Ensuite, ses deux mains ont pris mes deux mains, et ses pieds se sont joints à mes pieds. Et puis son corps s’est courbé vers l’arrière, et le mien aussi. Ensemble, nous étions devenus un cercle. Et comme une roue, nous avons commencé à rouler à toute vitesse dans la forêt. Nous nous faufilions entre les arbres, à travers les ruisseaux, nous sautions dans des cascades d’eau. Nous étions tellement joyeux ; nous étions deux amoureux qui dansent.
Je n’avais jamais dansé avec une plante auparavant. D’excès de joie, mes larmes ont encore coulé.

Le Yagé (prononcer : yahé), plus communément connu comme l’Ayahuasca, est une préparation traditionnelle de l’Amérique du Sud, en particulier de l’Amazonie. Depuis des centaines d’années, voire peut-être des milliers d’années, des peuples indigènes de ce continent connaissent son existence et ses utilisations. La boisson ne peut avoir un effet que si elle mélange le concentré de deux plantes en particulier. J’ai eu la très grande chance et privilège, dans le sud de la Colombie, de non seulement voir et toucher ces plantes de mes propres yeux et mes mains, mais aussi d’assister à toute la préparation de la boisson qu’on a fait bouillir pendant des jours et des nuits dans un gros chaudron par-dessus un feu de bois dans la forêt.
Le Yagé est une des boissons les plus sacrées. On dit des prières pendant sa préparation, et avant de la boire. On joue de la musique cérémoniale pendant sa consommation. Ce n’est pas seulement une préparation hallucinogène et un puissant enthéogène, l’Ayahuasca est un très grand océan aux contours infinis et insondables. L’histoire que j’ai racontée ici n’est qu’un minuscule préambule de ce que j’ai vu et vécu, un tout petit échantillon. Cette plante a des pouvoirs illimités. Elle agit d’une façon mystérieuse, incompréhensible et surprenante. Pendant des heures, elle provoque chez celui et celle qui la boit des vagues qui alternent entre une forme de lucidité et des rêves vifs, réels et conscients. Ces rêves ou ces visions sont toujours révélateurs de choses très profondes et d’une très grande valeur. Le Yagé peut révéler des esprits cachés, connecter des esprits séparés, faire voir le monde microscopique ou astronomique de la matière, faire jaillir les forces et les possibilités infinies de la conscience, faire apparaître des souvenirs oubliés ou refoulés, des solutions à des problèmes, des guérisons à des maladies, et ainsi de suite… Cette plante permet surtout de voir jusqu’à quel point notre perception de la réalité est tellement limitée, réduite, biaisée et arbitraire. L’Ayahuasca permet de reconsidérer toute la matière du monde, y compris le vivant et le temps, sous leur apparence élémentaire, énergétique, mystique, spirituelle… C’est une plante Magique, un Grand Esprit, une Maîtresse et un Grand Chaman.

Quelques jours après mon atterrissage à Mexico City depuis l’Europe en 2021, j’ai rencontré un Allemand qui m’a raconté, entre autres choses, qu’il venait d’acheter, avec un ami à lui, une terre dans la jungle en Colombie. Il m’a dit que son ami venait justement le rejoindre à Mexico City le lendemain. “C’est très bien”, je lui ai dit, “je vais donc sûrement voir ton ami demain”. Son ami était un grand Anglais, un personnage drôle. Voilà comment j’ai dit à ces deux excellentes personnes que j’irai probablement les voir chez eux en Colombie. Et voilà comment je les ai revus un an et demi plus tard, juste avant de partir de la Colombie vers l’Équateur en 2022. Il sont venus à ma rencontre dans la ville la plus proche de chez eux. On a fait autour de 30 minutes de scooter, et on a ensuite marché pendant 20-30 minutes dans la forêt jusqu’à ce qu’on arrive dans un endroit reculé, quasiment secret. Ces gens m’ont accueilli comme leur frère, et ils ont tout partagé avec moi. Je veux les remercier, et j’aimerais retourner les voir et peut-être emmener d’autres personnes avec moi. La cerise sur le gâteau c’est le fait de partager le gâteau. Merci ❤
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