Bonjour ma fille,
Ce que je vais te dire est très délicat, et je me demande moi-même pourquoi je le dis. J’ai traversé pendant longtemps d’innombrables déserts, pour ne jamais oser me regarder dans un miroir.
Oui j’ai profité de ton innocence et de ton corps quand tu étais petite. Je n’ose même pas encore dire ni penser que je t’ai violée. Ce mot me fait penser aux criminels desquels je me suis toujours senti étranger et distinct.
Je ne t’écris pas ces mots pour me faire pardonner. Je n’arrive même pas à comprendre, ni à me pardonner moi-même. Voilà pourquoi j’ai décidé de vivre dans le plus grand déni. Je vois bien que j’ai une ombre terrible, un coin des plus sombres, mais je préfère ne pas y entrer.
Voilà comment, je ne sais pas comment l’acte s’est déroulé. C’était comme si je devenais une autre personne, une personne que je ne connais pas du tout. Je n’ai aucune idée de comment cela arrive. Mais j’ai trop d’orgueil et trop de déni pour oser aller me guérir.
Quoi ? Aller dire que je suis le père de famille respectable qui tout d’un coup se transforme en un monstre qui viole sa fille ? Ça va changer quoi ? Le mal est déjà fait. Qu’on me condamne, qu’on me mette en prison, ça changera quoi ? Que les voisins le sachent, que la famille le sache, ça changera quoi ?
Le mal est déjà fait depuis longtemps, et il continue à vivre en moi et puis en toi. Je savais très bien que je commettais le mal absolu, mais je ne pouvais pas m’en empêcher. Une force obscure à l’intérieur de mes artères prend le contrôle de mes énergies. Je commets l’acte et je jouis, et puis cette jouissance se transforme en un terrible fardeau que je porte et que tu portes.
Ma culpabilité et ma honte ne ressortent que comme une colère noire et des agressions. Regarde ce que j’ai fait de ta mère ! Une dame si belle et si fragile que j’ai détruite au fil des années. Je la garde dans ma prison pour l’obliger à m’aimer par la force, la possession, la jalousie et la terreur.
J’ai longtemps pensé au suicide, et puis j’ai trouvé que le déni était une meilleure idée. Ce n’est pas toute ma personne que j’aimerais tuer, mais juste cette partie malade et obscure. En l’ignorant, en la faisant taire, c’est comme si j’ai commis la moitié d’un suicide. Comme ça, je peux continuer à prétendre que je suis un père honnête, respectable et même aimable.
Depuis longtemps je me mens à moi-même, et je crois complètement à mes mensonges. Au lieu de me présenter comme un minable violeur et une pourriture humaine, je préfère dire et redire fièrement que je suis un tel homme avec telles qualités.
Mon effroyable peur de voir mon égo se détruire se transforme en une colère que je ne contrôle plus. Que je le veuille ou que je ne le veuille pas, je préfère casser des maisons et briser des gens plutôt que de faire face à ma propre humiliation.
Longtemps j’ai pensé qu’il était peut-être possible de me transformer, mais je n’ai jamais trouvé la voie. Comment faire ma fille ? Toi-même en as-tu la moindre idée ?
Je te vois emprunter le même chemin que moi. Ta colère est ma colère et ta haine est ma haine. Ce que tu hais de moi, tu le portes et tu le nourris en toi.
Fière comme ton père, et méprisable comme ton père.
Comme moi, pour surmonter tes blessures, tu t’es retrouvée à reproduire les mêmes destructions. De la même façon que je t’ai tenue et attachée par ma force, tu accroches les hommes à toi comme tes proies.
Tu violes les hommes et tu les agresses, et ou bien tu les jettes, ou bien ils te jettent ; ces relations tu les appelles “l’amour”. Moi aussi je t’aime et j’ai joui en te violant. Tu l’as appris de moi. Et je l’ai appris de ma mère. Et ma mère l’a appris de son père… Et tout ce monde se croyait des exceptions !
Dès qu’un homme t’aime, tu vois en lui ton père et tu le hais de toutes tes forces.
Et dès que tu aimes un homme, tu t’accroches à lui avec tant d’espoir de retrouver l’amour de ton père, que tu finis par t’auto-détruire.
Cela aussi, tu l’appelles “l’amour”.
Oui vas-y, cherche… cherche…
Cherche ta voie… Cherche l’amour…
Cherche la réussite !
Crois que tu es une belle enfant sage et pleine de joie !
Crois que tu es magnifique, pleine de tendresse, de confiance et d’amour !
Moi aussi je crois exactement la même chose de ma minable personne.
C’est un théâtre qui se joue depuis très longtemps dans la famille.
Voilà pourquoi, tu as sûrement remarqué que je t’ignore et que je ne me préoccupe pas trop de toi. Tu n’existes pas dans ma vie et je n’existe pas dans la tienne.
Tu es juste une version féminine de moi-même. Une personne très respectable avec des yeux séduisants, mais aussi une sale pute, une crapule, une égoïste malade, une violeuse, une ordure, une moins que rien.
Je te crache dessus et je t’invite à te cracher sur toi-même.
Peut-être y trouveras-tu ta libération !
Vas-y, bois mes mots comme tu bois du poison !
Essaye de m’oublier et tu verras ! Dès que tu te regarderas dans le miroir, tu trouveras mon visage le plus haineux en train de t’aimer de son plus beau sourire.