La révolution tunisienne, suivie des autres révolutions arabes, mènera nécessairement à une autre révolution qui viendra de l’intérieur même de l’Islam ; et il n’est pas étonnant que les Lumières islamiques (car nous sommes dans le Siècle des Lumières arabes) voient leur naissance en Tunisie même, et pourraient naturellement se propager jusqu’au Moyen-Orient.
La pensée politique islamique a sans doute des doctrines et des racines fondamentales dans l’histoire des pays arabo-musulmans ; en témoignent, pour n’en citer que les plus connus, des maîtres de la pensée islamique comme Al Kindi (800-866, environ), Al Farabi (872-950), Ibn Sina (980-1037) et Al Ghazali (1058-1111) pour l’Islam oriental, et puis le célèbre Ibn Rushd (1126-1198) pour ce qu’on appelle l’Islam occidental, car Ibn Rushd est né en Andalousie et mort au Maroc.
Pour ceux qui pensent que la laïcité n’est qu’un concept importé des Européens d’aujourd’hui, il faut leur rappeler qu’Ibn Rushd, pour ne citer qu’un exemple, a été justement, dans son temps, le théoricien par excellence de la question de la relation théologie et politique, et précurseur de la laïcité.
Revenons au présent. Si vous allez dans une librairie en Tunisie aujourd’hui, je peux vous assurer qu’il sera beaucoup plus facile de trouver les œuvres de Rousseau, de Montesquieu, voire de Nietzsche que les œuvres originales d’Ibn Rushd ou d’Al Kindi (800-866). Ce dernier est pourtant considéré comme le fondateur de la philosophie islamique, et aussi celui qui a « incarné le premier visage du rationalisme musulman » (voir, à ce sujet, le grand spécialiste de la philosophie du Moyen Âge Alain de Libera dans « La philosophie médiévale »).
Première historique dans les pays arabes : La rencontre de l’Islam et de la démocratie :
L’évènement historique qui se déroule sous nos yeux aujourd’hui est celui de l’Islam qui, pour la première fois de son histoire arabe, se retrouve plongé brusquement dans un système démocratique. On assiste alors à une renaissance de cette forte tension entre foi et raison ; car les islamistes se retrouvent obligés de tenir leurs discours dans un environnement très complexe mêlant Tunisiens non-croyants, musulmans laïques, islamistes, et puis toutes les forces extérieures occidentales et orientales. C’est de cette confrontation et de cette tension continues que jaillira nécessairement la force universelle de la raison, qui sera reconnue comme un dénominateur commun, un terrain d’entente universel entre islamistes et laïques… Dit plus simplement : le point en commun ou le terrain d’entente commun entre le Tunisien islamiste et le Tunisien laïque est celui de la raison.
Si ma lecture de l’histoire est bonne, nous sommes donc dans le Siècle des Lumières arabes ! Par les Lumières je veux dire l’apparition de la raison comme étant LA VALEUR supérieure de la société civile et politique.
Tension : Islam / Laïcité :
Cette tension (islam-laïcité, ou foi-raison) apparaît déjà dans le discours même du parti Ennahdha. En effet, Hamadi Jebali, secrétaire général du parti Ennahdha, en répondant à des questions dans un article paru dans Le Monde, apparaît comme étant le plus laïque des laïques. Liberté de boire de l’alcool chez soi (liberté individuelle) pendant le Ramadan, liberté d’être athée et membre d’Ennahdha, égalité absolue entre les sexes, etc. Il va même jusqu’à dire que Ennahdha, à son avis, « n’est pas un parti islamiste » et que cette appellation ne lui « dit rien du tout ».
En même temps, la même personne déclare à la TV nationale, suite à une question concernant la loi sur l’héritage (car selon l’Islam, la femme hérite de la moitié de l’homme) : « Na7nou lè nou7allilou mè 7arrama allah wè lè nou7arrimou mè 7allala allah ». Traduction pour mes amis non-arabophones : « Nous ne légalisons pas ce que dieu a interdit et nous n’interdisons pas ce que dieu a permis ».
Comment interpréter cette contradiction et ce double discours ? Par toutes les difficultés énormes que pose une application littérale de l’Islam dans une société démocratique et moderne comme la Tunisie d’aujourd’hui. Le parti Ennahdha se trouve en plein milieu de ces difficultés et il tentera de concilier sa lecture de l’Islam avec le monde dans lequel il est aujourd’hui.
reNaissance d’une laïcité arabo-musulmane :
Cette confrontation de l’Islam avec la réalité démocratique moderne mènera, avec l’aide du temps, à la (re)naissance, sur les terres arabes, de l’Islam laïque des temps modernes. Et nous le voyons déjà apparaître dans le (double-) discours des islamistes eux-mêmes. Et même si Hamadi Jebali tient jusque là un double-discours, il se fera rattraper un jour par ce qu’il dit et ce qu’il écrit.
Je vous laisse donc avec le lien de l’article et les passages les plus frappants, pour que vous puissiez découvrir l’islamiste le plus laïque des temps modernes !
23 octobre : Rendez-Vous avec l’Histoire !
Extrait du Monde, 17 octobre 2011 : “L’essentiel est de respecter les libertés”
Les réponses que vous voyez aux questions sont celles de Hamadi Jebali, secrétaire général du parti Ennahdha.
“Lola : Quel est selon vous le rapport entre politique et religion ?
Pour nous, il y a respect de la vie politique, comme je l’ai dit. Il n’y a aucune ingérence du religieux dans la vie politique. Le religieux, c’est-à-dire les croyances, les libertés, le culte, est l’affaire de la société tout entière. Notre principe : nulle contrainte dans la religion.
Lola : Les citoyens tunisiens non musulmans ne sont-ils pas de seconde zone selon vous ?
Pas du tout. Notre conception de l’État est tout d’abord un État de citoyenneté, c’est-à-dire qu’elle considère que tous les citoyens tunisiens, musulmans, juifs ou chrétiens, sont des citoyens égaux en droits et en devoirs.
Re4Qube : A quel degré et de quelle manière la religion influe-t-elle sur votre programme politique ?
La religion n’a pas d’influence directe sur notre programme politique, sauf dans la référence aux valeurs que je considère comme universelles, c’est-à-dire les valeurs de liberté, des droits de l’homme et de démocratie qu’Ennahda considère comme principes, et même comme l’essence de l’islam.
5alifa : Cela signifie-t-il que vous permettrez la vente d’alcool ou le non-jeûne en public lors du ramadan ?
Ce problème doit être traité dans deux cadres : le cadre des libertés individuelles et celui du respect des valeurs de la société. On n’a pas le droit de s’immiscer dans les affaires personnelles, mais tout le monde a le devoir de respecter le consensus et l’identité nationaux.
Iep : Qu’est ce qu’un “parti islamiste” selon vous ?
Ennahda, à mon avis, n’est pas un parti islamiste. D’ailleurs cette appellation ne me dit rien du tout. Nous sommes un parti politique et civil, c’est-à-dire qu’il n’est pas théocratique, dans le sens que notre devoir est de proposer à notre peuple notre programme dans tous les domaines, et que nous voulons que les gens nous choisissent ou nous rejettent en fonction de ce programme. Pas comme étant religieux ou pas religieux.
Guest : Ennahda reconnaît-il le droit d’être athée ?
Absolument. Et je vous fais savoir que pour adhérer à Ennahda, il n’est pas nécessaire d’être croyant ou pratiquant, sauf qu’il faut respecter le règlement intérieur et les principes de Ennahda. Le port du voile n’est pas non plus une condition pour l’adhésion à Ennahda.”