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Les philosophes de tous les temps ont essayé de résoudre les grands problèmes philosophiques universels; c’est-à-dire l’univers et la nature, les mathématiques et la science, les perceptions et l’être, ainsi que toutes les autres questions morales telles que le bien, le mal ou la justice.
Mais de la même façon qu’ils ont traité de tous ces thèmes cruciaux, ils ont aussi toujours commenté les contextes de leurs époques et de leurs terres. À différents niveaux, ils se sont opposés aux systèmes qu’ils connaissaient; certains d’entre eux l’ont même payé de leur vie.
Chaque époque a connu ses idées révolutionnaires et, la plupart du temps, ces idées, croyances et motivations partagées entre les peuples ont conduit aux grands changements politiques et sociaux. Lorsque nous étudions l’histoire, même à un niveau superficiel, nous découvrons que l’histoire ordonne au philosophe de renouveler la tâche philosophique jusqu’à la fin des temps. Cette tâche devrait être comprise ici comme un processus créatif pour que de nouvelles idées changent le monde, encore une fois! Combien de fois avons-nous déjà changé le monde? Chaque fois, au nom de catégories insaisissables comme la justice, la vérité, la libération divine, la liberté, les droits, etc. La philosophie a toujours échoué à produire un monde en dehors de ce monde (sauf dans les livres), et se voit toujours invitée à agir dans l’urgence pour différencier le vrai du faux, le juste de l’injuste et éclairer les côtés sombres de la pensée commune et du système établi. Enfin, avons-nous vraiment réussi à changer le monde? Pas vraiment. En apparence, il y avait eu bien sûr des révolutions spectaculaires et des progrès incroyables; mais à un niveau plus profond, nous ne traversons que des cycles de civilisations historiques où les problèmes fondamentaux restent les mêmes.
Aujourd’hui n’est pas si différent des ères précédentes. Et les problèmes du monde d’aujourd’hui sont les mêmes que dans les temps anciens. L’injustice, la douleur, la souffrance, la guerre et le «mal» en général ne se sont pas arrêtés. Et la philosophie a de nouveau pour tâche de commenter ces problèmes à la fois contemporains et transhistoriques.
Pour cela, il faut se poser une question: comment le philosophe devrait-il intervenir? Cette question est un problème difficile en soi. Les grands problèmes de chaque époque trouvent leurs solutions dans l’opinion publique et dans les actions globales des citoyens eux-mêmes. Les leaders d’opinion et les philosophes sont ensuite invités à prendre part au débat et à suggérer des moyens d’agir. Mais avant cette étape, leur rôle est de réveiller les consciences, de montrer que les choses telles qu’elles sont sont inacceptables et d’allumer le désir de se révolter parmi la population.
Cette tâche est difficile et elle l’a toujours été; elle est même parfois dangereuse. Dans toutes les législations du monde, il existe toujours des textes condamnant la révélation de données secrètes ou l’incitation au désordre public ou à la désobéissance civile.
Mais ceux qui représentent le plus grand défi pour ceux qui voudraient révolutionner le monde sont les peuples eux-mêmes, ceux qui sont si bien habitués à l’ordre établi. Les gens ne se révoltent que lorsqu’ils prennent conscience de leur situation d’esclaves au sein d’un système et commencent à rassembler leur pouvoir pour se libérer. Sans cette conscience commune, même la pire tyrannie pourrait durer des décennies et des siècles grâce à l’aide d’une population soumise et de collaborateurs qui préfèrent avoir quelque chose à manger et à boire que de risquer leur vie à la recherche d’une utopie de liberté et d’émancipation.
Notre époque ne diffère pas de ces remarques générales. Les problèmes de notre époque sont les mêmes que ceux des temps plus anciens, auxquels s’ajoute le fait qu’ils se sont mondialisés. Ainsi, les solutions doivent venir d’actions mondiales. Mais c’est un grand défi de rassembler des personnes de différents pays et cultures autour d’idées et d’actions révolutionnaires.
Le philosophe se trouve nécessairement face à ce défi et il est fort probable que le plus grand philosophe du XXIe ou du XXIIe siècle sera celui qui proposera une philosophie générale, une philosophie politique et une philosophie économique qui sauveraient le monde de ce système financier et économique dans lequel l’humanité est prise. Il est devenu de plus en plus évident que la principale méthode de raisonnement en politique repose uniquement sur des chiffres et des indicateurs économiques tels que les taux de chômage, la croissance du PIB, les investissements étrangers, les exportations, les dettes publiques, etc. C’est comme si tous les problèmes du monde et leurs solutions ne se trouvent qu’au niveau économique et nul part ailleurs. Les questions de la santé, de l’art, de la science ou de l’environnement sont nécessairement placées dans la perspective de l’économisme.
Cet impératif économique est devenu une culture mondiale que nous pouvons trouver au niveau des gouvernements et même des individus. Les acteurs sociaux, presque tous, obéissent à une logique d’enrichissement sans autre but, car l’enrichissement est devenu le but en soi, et rien ne va au-delà ce but ultime. Nous pouvons observer ce phénomène à tous les niveaux de la société: gouvernements, entreprises et individus. Les gouvernements se font concurrence pour renforcer leurs puissances économique et militaire. Les entreprises n’ont qu’un seul objectif: maximiser leurs profits. Et les individus passent la majorité de leur temps à chercher à s’enrichir.
Même si les actions de tous ces acteurs semblent totalement vides de sens et conduisent à des catastrophes différentes, nous entendons rarement des voix suggérer des solutions globales et crédibles aux problèmes contemporains. Au contraire, nous observons les calculs de ceux qui tentent de se cacher dans leur petit monde pour éviter les problèmes des autres, ou des politiciens qui tentent de renverser la situation à leur avantage en essayant de remporter les prochaines élections, ou ceux qui tentent de restructurer leurs entreprises pour les rendre aussi sûres que possible face aux incertitudes et aux crises économiques. Au niveau des individus, il existe une majorité de personnes qui n’ont ni le temps ni la capacité de réfléchir à de si gros problèmes; et il y en a d’autres qui ne croient en rien d’autre que leur compte en banque, la sécurité de leur maison, leur famille et leur retraite. Les plaisirs de la consommation leur donnent suffisamment de loisirs et de satisfaction pour leur faire ignorer le reste des êtres vivants. En fait, ils se sentent complètement innocents de ce qui peut arriver aux autres.