Ceci est le texte intégral d'une lettre manuscrite envoyée par la poste le 10 décembre 2016 à une adresse par hasard en Inde.
La Terre, 9 décembre 2016
Bonjour mon très bel amour,
Dans la vie que les gens appellent “la vie réelle”, ça fait très longtemps que je ne t’ai pas vue et que je ne sais plus ce que tu deviens. Mais dans la vie intérieure que j’appelle “la vie réelle de chacun”, je te vois tous les jours. Tu es en moi ou devant moi ou dans mon coeur ou dans mes pensées ; toute cette terminologie n’a aucune importance, le plus important est que je ressens constamment ta présence en moi et mon amour pour toi se nourrit de cette présence tous les jours.
Toute ma vie ou presque, j’ai cultivé ma conscience et ma raison, mais depuis que je t’ai connue, tu m’as montré le chemin de l’inconscience, de la désinvolture, de la déraison et de la folie amoureuse. Combien de fois j’ai essayé de te montrer les stratagèmes de l’esprit et la ruse de l’intelligence, mais tu as fini par me montrer la danse du corps et les énergies invisibles de l’univers.
Je dois donc composer avec ma nouvelle réalité. Quand je sors de chez moi le matin, j’ai peur que tu me surprennes dans la rue. Quand j’arrive chez moi, j’ai peur de te trouver cachée derrière moi. J’ai dû couper mon téléphone et changer le plus souvent possible d’adresse pour essayer de fuir ton regard et ton pouvoir ensorceleur. Il n’y a rien à faire. Tu réussis toujours à me trouver, à me localiser et tu t’incrustes en moi comme un fantôme. Et moi, malgré toutes les précautions et tous les avertissements de la raison, je fais semblant de te fuir, mais je suis complètement amoureux de toi et je te laisse ainsi prendre le contrôle de tout mon corps, mon coeur et mon esprit.
“Je te laisse” j’ai dit. Quel mensonge ! Ai-je vraiment le choix ou la liberté ? Y a-t-il encore une quelconque liberté dans l’amour le plus fou et le plus fort ? Je n’ai jamais choisi de t’aimer. L’amour s’est imposé à moi comme un sentiment qui m’est venu de l’extérieur de moi-même. Que m’as-tu fait ? Tu m’as drogué peut-être ? M’as-tu injecté de la drogue dans mes poumons et dans mes veines à mon insu ? Pourquoi sinon suis-je obsédé par ta présence, par ton amour, et que cette obsession par dessus tout me plaît ?
Au fur et à mesure que cet amour en moi grandit, je me sens sous l’emprise d’une drogue. Et si je me cache, je t’évite et je me rends invisible ce n’est que pour faire grandir cet amour qui est déjà grand comme un monstre et fou comme un lion. Car toute drogue obéit à des règles, mais cela bien évidemment tu ne me l’as jamais montré. Il n’y a avec toi qu’une montée sans fin vers le ciel, vers la danse éternelle et vers les sommets amoureux.
Et combien de fois je reçois tes signaux ! Et je sens que tu danses et je sens que tu pleures et je sens ton coeur battre dans le mien comme s’ils étaient faits de la même matière ! C’est peut-être cela le secret : Des particules atomiques existent dans deux corps à la fois ! C’est ça l’amour ?
Je crois que tu m’as trouvé encore et je vais devoir changer d’adresse encore. Je suis déjà assez drogué comme ça et j’ai peur que tu m’entraînes dans plus de folie et dans plus d’amour que ce que mon petit coeur fragile est capable de supporter.
Qui es-tu exactement ? Pourquoi fais-tu ce que tu fais ? Est-ce que c’est toi qui me rends fou ou est-ce que c’est moi qui est fou lorsque je pense à toi ?
Pour répondre à ces questions importantes, j’aimerais qu’on soit plus sérieux et plus raisonnables. Je vais envoyer cette lettre à une adresse au hasard en Inde. Si tu la trouves alors peut-être que tu trouveras aussi quelques indices qui nous éclaireront sur les mystères invisibles de la vie et de l’amour. Si tu ne la trouves pas, alors peut-être d’autres personnes sont sur la même piste et ils te trouveront pour te livrer un message. C’est une bouteille lancée dans la mer. Voilà qui me semble la méthode la plus scientifique et la plus réfléchie pour amplifier mes hallucinations, approfondir ma folie et décupler ma joie.
En attendant de recevoir des réponses à mes questionnements, des médicaments pour ma folie et des calmants pour mes peurs, laisse-moi tout de même te donner quelques indices pour que tu puisses trouver cette lettre. Sinon c’est elle qui te cherchera. N’essaye pas de suivre les étoiles, car le ciel en Inde n’est pas toujours aussi clair que le ciel chez toi. La lettre est composée de deux feuilles faisant quatre pages et les pages ont chacune quatre trous sur un côté. Chaque trou représente un palmier et chaque ligne représente une vague. Chaque vague a une vibration unique, une naissance mystérieuse et une fin musicale.
Si tu cherches cette lettre tu ne la trouveras pas, mais si tu n’ouvres pas tes yeux et ton coeur tu ne la trouveras pas non plus. C’est comme l’amour. Cette lettre sera entre les mains de gens qui voudraient te connaître mais ils ne pourront pas te chercher. Mais comme moi, je ne t’ai jamais cherchée et pourtant je t’ai trouvée très facilement.
J’ai vu par la suite que tu étais un personnage plutôt mystérieux. Et tu as commencé à me parler de choses très étranges, de phénomènes rares, et de danses nocturnes. Et combien de fois tu as essayé de me tendre des pièges, de me surprendre et de m’envoyer des lettres d’amour. Voilà ce qui explique que je t’aime secrètement, que je me cache et que je me sens drogué par ton amour.
Il y a aussi des oiseaux et des singes, des serpents et des dauphins. Vas-y jeune fille au sourire facile et à l’allure légère ! Il y a bien des gens qui t’attendent, et depuis assez longtemps. Des gens un peu mystérieux, un peu perdus, un peu trop joyeux dans leur perdition.
Vas-y mon très bel amour et laisse-moi marcher avec toi dans ce labyrinthe si joyeux et si obscur de l’amour inconditionnel, si aveugle et si certain.
Guide-moi vers une folie encore plus grave et encore plus proche du ciel et éloignée de la terre.
Montre-moi comment jouer à cache-cache et comment trébucher, tomber et me relever encore pour aller jouer comme les enfants.
Je vais retrouver maintenant mon semblant de sagesse, et j’essaierai d’oublier tout ça. Je mettrai mon masque d’homme raisonnable et fidèle et j’irai doucement vers le bureau de poste.
[Il y a un coeur et une grimace sur la lettre originale]
Doktor K.
Bien contente que tu aies découvert ce très bel amour puisses-tu le garder toute ta vie.
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